Clumsy is my middle name

À la bourre, voici ce qu’il pourrait qualifier ma journée. J’ai bossé une bonne partie de la nuit sur la maquette publicitaire de l’un de mes clients. J’ai carburé à la caféine pour me tenir éveillé et les sens en alerte. Je me suis octroyé que trois heures de sommeil sur le canapé de mon salon avant de démarrer ma journée. J’étais loin d’être fraîche comme une rose après mon maigre temps de sommeil. Sur le coup, je remercie le maquillage. Rien n’est à l’épreuve de ma crème anticerne. La routine habituelle s’est enclenchée avant que je quitte mon appartement. Vérification en règle des portes et des fenêtres de mon minuscule trois-pièces. J’ai fait un petit effort vestimentaire pour mon rendez-vous professionnel, mais j’ai tout de même gardé mes souliers de course édition limitée au look de R2D2. Bien quoi ? Je porte déjà une jupe et un chemisier. Il ne faut pas trop m’en demander. Alors, c’est à quel moment que tout a commencé à foirer ? Hm, dès que je suis sortie de chez moi en fait. J’ai tout d’abord, manqué mon bus qui devait m’emmener à l’autre bout de la ville. Quand j’ai pu attraper le second, nous avons été coincés dans un bouchon de circulation monstre. Je suis arrivée trente minutes en retard à mon rendez-vous ce qui ne fait pas super bonne impression. Mon client était en plus méga relou et légèrement misogyne sur les bords. Puisque j’avais besoin de ce contrat pour payer les factures, bien on se dessine un sourire et on le fait signer au plus vite le chèque. Quand je suis sortie des bureaux de ce client. J’ai eu l’horrible impression d’avoir vendu mon âme au diable. Je décide de prendre un peu de temps pour rêvasser en marchant. Je n’ai pas très envie, de me retrouver coincée dans les transports en commun, dus moins pas tout de suite. Il commence à se faire tard, car les rayons du soleil se meurent à l’horizon. Je m’arrête devant la devanture de la librairie. J’y vais souvent pour acheter des bouquins, mais aussi pour m’installer dans le salon de thé pour dessiner sur ma tablette graphique. Il m’en faut peu pour me convaincre à pousser la porte. Un petit tintement de la clochette se fait entendre. Signifiant au propriétaire ma présence. Timide, je disparais dans les rayonnages, avant même que Damien me voie. Je viens tellement souvent à la librairie que forcément, j’ai discuté un peu avec le propriétaire des lieux. Il est gentil et pas rebutant à regarder. Je fais glisser mes doigts sur les reliures des livres à la recherche d’une perle rare. Une perle rare qui pourrait me faire oublier ma journée merdique. Je lève doucement les yeux sur la tablette du haut. J’y découvre mon Saint-Graal. Un livre de John Howe. Le dessinateur d’art fantasy, par excellence. Je dépose mon sac à main sur le sol avant de m’étirer pour tenter de récupérer l’objet de convoitise. Sans succès, putain, pourquoi suis-je aussi petite ?! Ne voulant pas déranger Damien, en plus il doit être en préparation de la fermeture de sa boutique. Raison de plus pour ne pas l’embêter. Je regarde autour de moi, dans l’espoir de trouver un marchepied pour faire grandir la naine que je suis, mais rien, nada ! Je vais devoir faire preuve de débrouillardise. Je décide de faire un peu d’escalade. J’ai peut-être surestimé le poids que pouvait supporter la bibliothèque ? Quoi qu’il en soit, je me retrouve sur le cul, je me protège in extremis la tête avec mes mains, car quelques livres rencontrent le sol dans un fracas épouvantable. « Fæn*…. » Il y a au moins une bonne chose, le livre que je voulais se retrouve maintenant à porter de ma main. Je me mets a le feuilleté, quand mon regard rencontre le propriétaire des lieux. Timide, je regarde le bazar autour de moi. « Je te jure, c’était comme ça quand je suis arrivée. » Il est loin d’être con. Un sourire timide se dessine sur mes lèvres. « Je suis désolée, Damien. Je ne voulais pas te déranger avec la routine de fermeture. » Je marque une pause tout en embrassant du regard l’hécatombe de ma maladresse. « J’ai visiblement fait pire, que mieux… » Vraiment, cette journée est vraiment à mon image. Complètement à la bourre.  

J’ai peut-être causé une mini catastrophe dans ma librairie préférée, mais quand mes yeux se posent sur les images du livre que je tiens au creux de mes mains. Je tiens vraiment mon Saint Graal ! Mes doigts glissent doucement sur le dessin de la couverture. Le dessin représente Lancelot du Lac en armure tenant à sa main la tête d’un wyrm. L’armure est si bien dessinée, on pourrait presque croire que c’est une photographie. Est-ce que j’arriverais un jour à rendre mes dessins aussi réalistes ? Je suis sortie de mes rêveries quand je remarque la présence de Damien. Il a été alerté par le bruit, c’est évident. Timide, mais avec une moue innocente sur les lèvres. Je l’informe que c’était déjà ainsi à mon arrivée. Un petit sourire mutin se dessine sur ses lèvres pleines. « Bien sûr, je te crois. » Bien sûr qu’il ne me croit pas ! Ce n’est qu’une taquinerie de sa part. Au moins, il ne semble pas m’en vouloir. Je m’excuse auprès de lui du désordre que j’ai causé. C’est la moindre des choses. Je suis débarquée dans sa boutique à la quasi-fermeture de celle-ci, je ne voulais vraiment pas le déranger. Les petits plaisirs du service à la clientèle. Le jeune homme s’approche de moi pour me tendre la main. Il veut m’aider à me remettre sur pied. L’une de mes mains vient se glisser dans la sienne tandis que je me retrouve sur mes deux jambes. Sans son aide, je suis sûr que j’aurais été beaucoup moins gracieuse dans mes mouvements. « Il n’y a pas de souci, je comprends. Demande-moi la prochaine fois, je viendrai t’aider avec plaisir. » Je baisse légèrement les yeux, en hochant la tête de façon positive. Il est si près de moi que je sens une certaine gêne m’envahir. Je garde pour moi le fait que j’aime bien me débrouiller toute seule. Il y a déjà Storm qui me couve comme une poule. J’ai appris une dure leçon sur la gent masculine. Ils sont doués pour faire mal. Damien est un gentil garçon, mais le serait-il toujours s’il me connaissait vraiment ? Keynes disait m’aimer, mais ce n’est pas l’amour qui l’étouffait quand il m’a largué le jour de la Saint-Valentin et accessoirement la veille de mon anniversaire. Merde, pourquoi je pense à ça moi ? « Le principal c’est que tu ne sois pas blessée. Vient je vais te donner de l’arnica pour d’éventuels bleus et bosses. » Mince, c’est vrai que j’aurais pu me faire mal méchamment. « En effet, mais j’ai la tête plutôt dure. Ne t’en fais pas pour moi. » Néanmoins, Damien m’entraîne avec lui dans son sillage. Mon regard est scotché sur nos doigts enlacés. Pourquoi me tient-il encore la main ? Est-ce que je dois la retirer ? Mince, il y a la peau douce. Ma peau se réchauffe doucement contre la sienne. Je sens le rouge me monter aux joues. Min Gud ! * À quand ça remonte la dernière fois qu’un homme m’a simplement pris la main ? Si l’on exclut mon frère et mon papa. Hmm, TROP longtemps. Si l’on était dans un quelconque « cartoon », on verrait apparaître l’ombre d’un personnage avec écrit sur sa poitrine : LUST (Désir). Heureusement pour ma pomme Damien n’est nullement conscient de mes démons intérieurs. On se retrouve tous les deux dans l’arrière-boutique. Il m’indique du doigt une chaise à un bureau. Sans faire de chichi, j’y prends place, je dépose le livre que je tenais toujours dans mon autre main sur le bureau. J’en profite également pour lisser le tissu de ma jupe. Une jupe que je trouve subitement trop courte. Le gentil libraire me présente le tube de crème. « Merci, c’est gentil. » J’applique la crème principalement sur mes mains, une partie de mes avant-bras et l’arrière de mon cou. Enfin, je sais que de toute façon, je risque d’avoir des contusions demain matin à mon réveil. Je lui rends le tube en souriant pour ensuite tourner mon attention sur le livre. « Dis, tu connais John Howe ? » J’ouvre à nouveau le livre que je dépose sur mes genoux. « Il a travaillé sur les décors du seigneur des anneaux. Il a fait aussi les illustrations des livres. Il y a aussi fait des illustrations de Beowulf. » Je souris à Damien. Je m’emporte toujours un peu quand je discute de celui qui a été ma principale inspiration pour devenir graphiste. « Je vais t’acheter le bouquin. » Je marque une pause pour ensuite rajouter : « Bien entendu, je vais acheter les livres que j’ai abîmés et je vais t’aider à ranger le bazar que j’ai fait. C’est la moindre des choses. »

Il n’y a aucune chance que je puisse me défiler. Je devais impérativement passer par la case soin. Mon attention est détournée par mes doigts entremêlés avec ceux du jeune homme. Mon cerveau se bat également contre le retour en force d’un sentiment que je croyais mort et enterré. Alors forcément, je ne rechigne pas trop quand il me présente le tube de crème. J’aurais bien d’autres occasions pour faire ma tête de mule. Je lui demande s’il connait l’artiste dont parle le livre. J’en profite pour lui énumérer ses œuvres les plus connues. Seulement, quelques-unes, car il en a beaucoup à son actif. Je suis légèrement déçue. Qu’il ne le connaisse pas, mais guère étonnée. « Il a un beau parcours ! Ces illustrations sont splendides en tout cas. Je suis content pour toi que tu as trouvé ton bonheur ! » Je referme le livre pour le serrer contre moi. Comme si ce bouquin serait le plus beau des trésors. « Oui, je suis contente aussi. Je vais pouvoir continuer à appliquer ses conseils dans mes propres œuvres. » J’aimerais tellement que mes dessins d’armures soient aussi bien détaillés. Je lui parle de mon envie de payer pour les dommages que j’ai causés dans son établissement. Bien entendu, je me heurte à un refus. « Je suis d’accord pour ton livre illustré et l’aide, mais pas pour les autres. Ça ne fait rien, ne t’en fais pas. » J’ouvre la bouche pour protester, mais bien entendu il me coupe aussitôt. « Le chocolat c’est quand même le meilleur remède quand on va voir une belle bosse sur son front. » Je lève les yeux vers le jeune homme. Je le dévisage pendant quelques secondes tout en pesant le pour et le contre de la proposition. « Tu soulèves un bon point. Va pour le chocolat, mais ce n’est que partie remise. La prochaine fois, tu ne t’en sortiras pas si facilement. » Il ne va pas réussir à me clouer le bec de cette manière à nouveau. Nous prenons la direction du salon de thé. Je découvre qu’il y a des nouveautés offertes. Oh ! Il y a des tartelettes aux citrons. C’est sûr que ça ne peut pas battre le chocolat, mais j’adore cette pâtisserie acidulée. Je remercie le jeune homme quand je prends la mousse au chocolat qui m’offre. « C’est toi qui l’as fait ? » J’enfonce la cuillère dans la mousse onctueuse pour ensuite la porté à ma bouche. « C’est vachement bon ! » La douceur sucrée diminue à un rythme continu. Je glisse ma langue sur ma lèvre inférieure pour en retirer le chocolat présent. Il y a une note un peu plus fruitée que je perçois. Je n’arrive à déterminée de quel fruit dont il s’agit. Je prends la dernière bouchée quand je réalise enfin de quoi il s’agit. Je tousse doucement pour me racler la gorge, sans résultat. Un picotement désagréable me gratouille le fond de la gorge. Ma respiration commence à être de plus en plus laborieuse. Je dépose l’assiette sur la table la plus proche. Je m’appuie également contre le dossier de la chaise. « Il avait des fraises dans ton mélange ? » À son expression, je réalise que j’ai vu juste. « Fæn.* » Je ne peux pas lui en vouloir. Il ne pouvait pas deviner pour mon allergie. C’était à moi d’être plus prudente de m’informer. Non, il fallait que je me perde dans ses yeux noisette. « J’ai besoin… de… mon… sac. » Je commence déjà à avoir de la difficulté à parler. La panique me gagne peu à peu. « Je… allergique… aux… fraises. » Je rebrousse chemin dans la librairie. J’ai laissé mon sac à l’endroit de l’hécatombe que j’ai créée. Je suis vite rejoint par Damien qui semble aussi affolé que moi. Je renverse mon sac à main sur le sol. Je me fiche pas mal qu’il puisse découvrir des effets personnels féminins compromettants. Il y a plus important. Je cherche comme une furie ma seringue d’adrénaline. Je lui tends cette dernière. « Tu vas devoir le faire… je tremble trop. » Je remonte ma jupe pour y libérer ma cuisse. La gêne me bouffe de l’intérieur. Chose qui passe inaperçue puisque je suis rouge comme une écrevisse. « Tu vas devoir… appuyer… 8 secondes… » Ma respiration est saccadée, je commence à tourner de l’œil. Je me fous bien qu’il puisse voir ma culotte en dentelle noire. Je ne lui donne pas le choix tandis que je lui prends la main qui tient la seringue pour l’appuyer de toutes mes maigres forces contre ma cuisse. Je sens l’aiguille qui me perce la chair. Un petit cri m’échappe tandis que je sens l’adrénaline qui entre dans mon système. J’appuie ma tête contre l’épaule de Damien, l’air commence doucement à circuler à nouveau dans mes poumons. « Tu vas devoir m’emmener à l’hôpital. On a 15 minutes avant que les symptômes reviennent. » J’efface les larmes qui ont coulé sur mes joues tandis que je regarde Damien. « Ça va, tu es tout pâle ? » Je touche sa joue du bout des doigts avant de la retirer presque aussitôt. Je me force à lui faire un sourire rassurant. « Ce n’est pas ta faute, c’est la mienne. » Je ne lui dis pas que l’on pouvait aisément piquer à travers le tissu, mais c’est l’une des seules jupes potables de ma garde-robe. Je ne voulais pas lui faire un trou dedans.  

Il fallait bien s’y attendre que la journée qui avait si mal commencé se termine dans la même lignée. La sensation de l’aiguille qui perce ma peau est horrible. Il faut dire qu’elle sort à une vitesse. C’est comme si l'on vous poignardait avec. J’ai eu beau me mordre la langue pour ne pas crier à la douleur, mais c’était tout aussi une peine perdue. Je me sens légèrement dans les vapes tandis que l’adrénaline est pompée dans mes veines. Ma tête repose doucement contre l’épaule du libraire. Je sens l’un de ses bras qui m’entourent pour me soutenir. Il fouille frénétiquement dans sa poche pour y récupérer son portable. Le numéro des urgences est vite composé. Ma tête toujours posée sur son épaule, je peux sentir les pulsations de son propre palpitant. Il est rongé par le stress, c’est évident. Bien entendu, je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Je ne crois pas qu’il s’attendait à une fin de journée aussi mouvementée de son côté. Il n’était pas prêt pour subir la tornade dont j’ai le pouvoir (ou la malédiction) de créer. Je ne sais pas ce qui me pousse à lui caresser la joue du bout des doigts. Pour attirer son attention ou tout simplement le rassurer? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas vraiment dans mes habitudes d’être tactiles avec les gens en dehors de mon cercle social. « Bien… Ce n'est pas de moi que tu dois d'occuper... » Je fais une légère moue boudeuse. Je le sais bien, mais il se trouve qu’il est blanc comme un linge. Les sirènes se font entendre au loin. Mon carrosse est sur le point d’arriver. Je lève les yeux sur Damien quand je sens ses doigts qui replacent avec douceur une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Cela me fait tout drôle. Il y a bien longtemps qu’un homme n’a pas été attentionné de cette manière. Notre petite bulle vole en éclat quand les ambulanciers font irruption dans la librairie. Il y a déjà des curieux qui s’arrêtent pour regarder le « spectacle » à l'extérieur. Damien n’ayant pas retrouvé une couleur aux joues normales. J’indique gentiment aux ambulanciers que c’est moi la demoiselle en détresse. Je suis retirée des bras rassurants de Damien pour me retrouver couché sur une civière. Un masque à oxygène vient se poser sur mon visage. L’injection ayant été administrée, il y a environ une dizaine de minutes. Il est possible qu’une seconde injection me soit donnée en chemin vers l’hôpital « Faut-il prévenir un membre de votre famille, mademoiselle? » Je tourne la tête en direction de Damien. « Non, personne. » Évidemment, je n’ai pas envie de me retrouver toute seule à l’hôpital. Je n’ai pas envie d’alerter mes parents et encore moins mon frère. « Mes parents habitent à Ostende et mon frère sera difficilement joignable par téléphone. » Je marque une pause avant de rajouter. « Mon frère est sourd et je ne veux pas lui dire ça par message texte… » La civière est remontée d’un coup sec. L’un des paramédicaux se tourne vers Damien. « Vous accompagnez votre petite amie ou non? » Je n’attends pas sa réponse puisque je me sens légèrement partir. L’effet de l’adrénaline s’évapore petit à petit. On dépose sur moi mon téléphone ainsi que mon carnet contenant mes cartes d'identité. Je suis vite sortie de la librairie les pieds devant. Ouais! Je vais faire un tour de manège. « Ingrid, reste avec moi. » Hmm, comment sait-il mon nom, celui-là? Je tourne légèrement la tête vers l’ambulancier qui est resté à mes côtés. Il me semble gentil. Une douleur vive me déchire de nouveau le côté de la cuisse. « Faen i helvete !*» Là, je l’aime vraiment plus celui-là. « Langage coloré pour une demoiselle. Allez, on va se rendre à l’hôpital. On va vous donner un antihistaminique et vous serez remis sur pied. Vous allez en rire plus tard tous les deux. » Tous les deux? Je remarque la présence de Damien à mes côtés. « Oh! Tu es là… » Une légère surprise dans ma voix. Je suis rassurée de ne pas être complètement seule. Je lève doucement ma main dans sa direction, comme si je voulais lui prendre la main, mais mon geste ne va pas plus loin. Je lui laisse le choix de la prendre ou pas.

Je lance un regard de la mort qui tue à l’ambulancier qui vient probablement me faire gagner de précieuses minutes de survie avec l’injection. Cela fait combien de temps que je n’aie pas eu besoin d’avoir recours à mon injecteur ? Il y a plus de cinq ans, il me semble. La dernière grosse réaction que j’ai eue c’est à Ostende. J’habitais encore avec mes parents. Quoi qu’il en soit selon l’ambulancier nous allons rire de la situation plus tard tous les deux. C’est à ce moment que je remarque la présence de Damien à mes côtés. Pourquoi ne l’ai-je pas remarqué plus tôt ? « Bien sûr, je ne pouvais pas te laisser aller à l’hôpital seule… Ça ne te dérange pas j’espère ? » Je lève doucement ma main dans sa direction l’invitant à la prendre. Un sourire se dessine sur mes lèvres à sa remarque. Il est mignon de s’inquiéter de la sorte. « Pas du tout, je suis contente que tu sois là. » Je n’aurais pas voulu être toute seule parce qu’il aurait bien fallu que je contacte mon frère. Storm est peut-être sourd, mais cela ne l’empêche aucunement d’être bruyant pour signifier son mécontentement. Car oui, je vous confirme que l’on peut se disputer en langage des signes. C’est tout un spectacle ! La sensation de ses doigts entremêlée au mien me donne un sentiment d’apaisement. Je sens le rouge me monter aux joues en remarquant son regard qui plonge dans le mien. J’ai l’impression de retrouver la petite bulle qui s’était formée dans la librairie. Elle éclate quasi aussitôt, car l’ambulance tourne plutôt sec vers le débarcadère des urgences. C’est à contrecœur que ma main se détache de celle de Damien. Nous sommes accueillis par le personnel soignant. Puisque je suis consciente et mon cas est relativement mineur. On me transfère dans un lit tout près du bureau des infirmières. Un simple rideau me sépare de mon voisin. Une des infirmières arrive avec une seringue, dont je me doute, contient l’antihistaminique dont j’ai besoin. Je grimace à la vue de l’aiguille. « Je crois que je vais avoir ma dose d’injection pour les cent prochaines années… » Je tourne la tête pour regarder Damien et éviter de tourner de l’œil. Je n’aime pas les piqures ! « Voilà, cela devrait faire effet assez rapidement. Le médecin va passer vous voir plus tard. Vous n’avez qu’à sonner si vous avez besoin. » Sur ces mots, l’infirmière tire le rideau et l’on se retrouve tous les deux à nouveau seul. Dans un semblant d’intimité. J’entends le patient à ma gauche lâcher une caisse. J’ai bien dit un semblant d’intimité. J’éclate d’un rire nerveux, le stress en ai pour beaucoup. « Mon Dieu, j’avais vraiment autre chose en tête comme activité pour la soirée. » Je ne sais pas combien de temps je serais dans l’obligation de rester coincé ici. Alors, autant être le plus confortable possible. Je tente de placer mes oreillers. « Dis, est-ce que tu peux m’aider à remonter mes oreillers ? » Un des effets du médicament est la somnolence. Je risque d’en faire les frais dans quelques minutes. « Je vais probablement me répéter, mais je suis désolée de t’avoir fait vivre ça. » Je lève la main pour l’empêcher de parler et poursuis dans ma lancée. « C’était à moi de vérifier les ingrédients auprès de toi. Tu ne pouvais pas deviner. » J’ai tendance à foutre le bordel dans la vie des gens qui n’ont rien de demandé. « Tu peux voir le bon côté des choses, maintenant tu sais comment utiliser une injection d’adrénaline. » Je lui fais un sourire pour l’apaiser tout en espérant que ce sera suffisant pour me faire pardonner. Je pourrais comprendre qu’il ne désire plus me voir dans sa boutique. Le rideau est à nouveau tiré pour y laisser entrer le médecin. Mon dossier bien en main. « Alors, Mademoiselle Eriksen, réaction allergique aux fraises. » Guilty ! J’ai droit à un examen de base de mes signes vitaux. « Votre cœur a repris un rythme plus régulier. Vous serez fragile pendant quelque temps, alors évitez les rapprochements avec votre petit ami. » Son regard se pose sur Damien pour s’assurer qu’il comprend le message. « Oh ! Vous vous trompez, ce n’est pas mon copain. Damien est un ami. » Le médecin hausse les épaules. « Évitez tout de même les rapprochements intimes pendant quelques jours. Vous allez pouvoir sortir d’ici, une heure. Ne conduisez pas et reposez-vous. »  Pourquoi, ils pensent tous qu’une femme qui est en compagnie d’un homme sont automatiquement ensemble. « Je suis désolée de t’avoir fait subir ça… » Je n’ose pas regarder Damien, tandis que je mords ma lèvre inférieure signe de ma gêne grandissante. « Je pourrais comprendre que tu veuilles rentrer chez toi. Je peux prendre le taxi seule… enfin, je crois. » Je peux aussi appeler mon frère, car prendre un taxi et risquer de m’endormir sur la banquette arrière est peut-être aller au-devant de problème plus grand encore.

J’ai fait fort, il n’y a aucun doute là-dessus. Trois piqures dans un très court laps de temps. À la vue de l’aiguille, je n’ai qu’une envie, fuir. Je recule légèrement dans mon lit de fortune comme si j’espérais disparaître dans le matelas. Comme une enfant, je grimace et détourne la tête. La main de Damien vient enserrer la mienne pour me soutenir, mais aussi pour détourner mon attention. Cette petite distraction est suffisante pour ne pas me concentrer sur le médicament qui s’écoule dans mon corps. J’arrive même à me détendre quelque peu. Dire que mon frère voudrait que l’on se fasse tatouer un petit quelque chose tous les deux. Marquer nos deux corps d’une encre indélébile. Je suis incapable de m’y résoudre. La peur me tétanise. En fait, il y a beaucoup de choses qui me font peur. « Tu voulais faire quoi de base ? Consulter ton trésor toute la soirée ? » Sa question est pertinente. Je glisse ma langue sur mes lèvres tout en réfléchissant, quoi lui répondre. Dois-je être à 100 % honnête avec lui ? Je n’ai pas une vie des plus trépidantes et j’ai des goûts un peu atypiques. « Probablement, coucher dans mon lit avec Dexter et Morgan sur les genoux. » J’omets de lui dire qu’avant, j’aurais probablement plongé dans le monde de Secret World. « J’aurais probablement fait des pauses pour continuer de lire L’Appel de Cthulhu. » C’est l’un de mes dieux anciens préférés. J’ai même quelques t-shirts que je porte pour dormir à son effigie. « Et toi ? Qu’aurais-tu fait de ta soirée ? » Il semble être quelqu’un de plus extraverti que moi. Il serait peut-être sorti en boîte ? Encore mieux aller chez des amis, amis qui pourraient l’attendre en ce moment même ? Enfin, je suis sûr que ça aurait été plus palpitant que de passer à la case-hôpital. Je me bats quelque peu avec mes oreillers quand je me décide finalement à lui demander un peu d’aide. « Il te faut autre chose ? À boire ? » Je lui fais un sourire en secouant doucement la tête. « Non, ça va, merci de proposer. » Bien entendu, je ne peux m’empêcher de m’excuser et d’exprimer le fait que je sois désolée. C’est plus fort que moi. Je prends l’entière responsabilité de la situation sur mes épaules. Une chose dont je n’en démordrais pas. Je suis une véritable tête de mule. Un petit rire m’échappe à sa remarque. C’est vrai, il va pouvoir ajouter ça à sa liste de ses compétences. D’ailleurs est-elle longue sa liste ? Je sais qu’il connaît plutôt bien le monde littéraire. Il est plutôt doué en pâtisserie. Quand est-il du reste ? Je connais si peu de chose sur lui. Ma curiosité me pousse à le questionner, en apprendre davantage sur lui. De l’autre côté, une partie de moi me pousse à reculer. Les gens blessent. Ils font mal, parfois de façon involontaire ce qui est tout à fait pardonnable. D’autres fois, ils le font de façon volontaire, c’est ce qui est le plus destructeur. Mon chemin a croisé plus souvent que je le voudrais des personnes du second groupe. Damien fait-il partie de ce groupe ? Dieu seul le sait et le diable s’en doute. L’arrivée du docteur change légèrement la donne. On se retrouve à nouveau dans un quiproquo à la con. J’ai beau tenter de rectifier le tir, sans succès. Il s’en moque, monsieur-blouse blanche ! Il faut dire qu’on n’a pas forcément besoin d’être en couple avec la personne pour pouvoir coucher avec elle. Une fois de plus, je m’empêtre dans des excuses. La gêne me bouffe petit à petit. C’est quand je sens la douceur de sa main sur ma joue que je tourne légèrement la tête pour pouvoir le regarder dans les yeux. « Je reste avec toi jusqu’à la fin. Tu ne rentres certainement pas en taxi toute seule, pas dans cet état ! » Erreur, erreur, le retour en force d’un sentiment que je ne devrais pas ressentir ! Le désir en force, nom d’un chien ! Je mets tout ça sur le compte du stress ainsi que l’antihistaminique, ouais il n’y a pas d’autres explications possibles. Forcément, l’adrénaline que l’on m’a injectée est une hormone alors quoi de plus naturel que mon système hormonal soit en pagaille. Ouais, c’est tout à fait logique ! « D’accord, mais je tiens à payer ma part pour le taxi. J’habite dans le nord de la ville. » Je m’allonge contre les coussins de mon lit tout en regardant l’heure sur mon téléphone. « Il nous reste, une quarantaine de minutes avant de pouvoir partir de cet enfer. » Je me pince légèrement le nez quand une odeur désagréable me monte aux narines. Notre charmant « voisin » vient de se lâcher à nouveau. Je regarde Damien en essayant de ne pas éclater de rire. Quelle fin de journée bizarre !

J’explique, à Damien, que Dexter et Morgan sont effectivement mes animaux de compagnie. Ils sont deux chats de type abyssin. Dexter est celui des deux chats qui possède la fourrure la plus rousse. Morgan quant à lui est plus dans les teintes de sables. Ce sont deux frères. Mes parents me les ont offerts après mes études. Question de me tenir compagnie puisque je ne comptais pas rentrer m’installer à Ostende. Je lui renvoie la question pour découvrir qu’elles étaient ses projets pour la soirée. Je cligne des yeux en essayant d’analyser ce qu’il vient de me dire. Il sort danser tous les soirs?! À quand remonte ma dernière sortie en boîte de nuit ? À des lustres, car je suis venue au monde avec deux pieds gauches. Je ne danse pas et les gens qui me connaissent savent qu’il met impossible d’être fluides dans mes mouvements sans causer une catastrophe. Alors Damien est dû genre à ne jamais finir ses soirées seules ? Est-ce que je dois comprendre que le livre est une sorte de métaphore ? Aïe, j’ai mal au crâne. Mes pensées n’ont aucun sens. Je ferme momentanément les yeux quand le médecin débarque. Les recommandations données ainsi que mon papier de sortie quasi en main. Nous sommes presque à la ligne d’arrivée pour mettre cette soirée, désastreuse, derrière nous. Il ne veut pas me laisser rentrer seule en taxi. C’est une chose non négociable. Dans ce cas, je l’informe que je compte bien payer ma part des frais de transport. Il ne cherche pas à batailler sur le sujet. Une bonne chose, il nous reste juste à attendre que les minutes s’égrènent. Une odeur nauséabonde se glisse sous les rideaux pour atteindre nos organes olfactifs. Je tente de ne pas éclater de rire tandis que je me pince l’arête du nez. « Godverdomme! » J’ouvre la bouche en entendant le juron tout de même soft de Damien. « Bon, je ne crois pas que ça va être une situation possible… » Je viens de dire ses mots d’une voix basse pour ne pas que les membres du personnel médicales et même notre « voisin » m’entendent. Je soulève les draps de mon lit pour me glisser hors de ce dernier. Sur le coup, j’ai un petit étourdissement qui me force à m’immobiliser pendant quelques secondes. « On s’en va, ce n’est pas une vingtaine de minutes qui va mettre fin à ma vie. » Je ne laisse aucunement le temps au jeune homme, de réagir contre mon idée, car je me faufile en silence en dehors de ma petite prison puante. Je tente d’adopter une démarche des plus normale dans le corridor qui me mène à la sortie de l’hôpital. Je suis rattrapé par Damien à l’extérieur. « Enfin, de l’air frais ! Taxi ! » Je hèle l’un des véhicules stationnés en bordure de l’hôpital. Je m’installe sur la banquette arrière en informant le conducteur l’adresse de mon appartement dans le nord de la ville. J’ai qu’une seule envie une bonne douche et une bonne nuit de sommeil. Je regarde doucement le paysage défiler par la fenêtre. « Merci, d’être resté avec moi Damien… » Je lui fais un sourire pour accompagner mes remerciements. Ce n’est que plusieurs minutes plus tard que la voiture s’immobilise devant un bâtiment. Je peux voir Morgan qui regarde par la fenêtre de mon appartement. Je remets des billets au conducteur, beaucoup plus qu’il ne le devrait. Je me penche vers Damien dans l’intention de lui faire la bise, mais m’abstiens au dernier moment. Je préfère lui prendre la main et la serrer doucement dans le creux de la mienne. « Merci encore une fois. On se revoit bientôt ! » J’ouvre la portière pour sortir du véhicule, mais avant de refermer cette dernière je me penche à nouveau vers le jeune homme. « Ah ! Oui, tu n’as pas besoin de payer pour le taxi, je viens de le faire pour toi. » Je ne lui donne aucune chance de répliquer ou de réagir, car je referme la portière quasi aussitôt. Je regarde le véhicule s’éloigner quelques instants pour ensuite gagner mon petit chez-moi.